Plus de trente ans après la catastrophe nucléaire, la nature a repris ses droits dans la zone d'exclusion entourant la centrale de Tchernobyl en Ukraine. La végétation a peu à peu pénétré dans les bâtiments, des arbres ont poussé sur les terrains délaissés et l'herbe s'est étendue partout où elle pouvait. Les animaux en ont fait de même.
Plusieurs études récentes ont confirmé que la faune sauvage était désormais abondante dans la zone d'exclusion, identifiant la présence de loups gris, de chevreuils, de sangliers ou encore de renards. En explorant les quartiers abandonnés, ce sont toutefois d'autres animaux que l'on croise régulièrement, des animaux qui n'ont pas eu à revenir à Tchernobyl puisqu'ils n'en sont jamais partis : des chiens.
Le 27 avril 1986, alors que la situation était devenue incontrôlable à la centrale, les autorités ont décrété l'évacuation des habitants. Pensant qu'ils reviendraient quelques jours plus tard, tous sont partis en emportant avec eux le minimum autorisé. Leurs papiers, quelques affaires mais pas leur animal de compagnie. En quelques heures, des centaines de chiens se sont retrouvés abandonnés.
C'est l'histoire méconnue de ces animaux que la youtubeuse Léa Camilleri et le réalisateur Hugo Chesnel mettent en lumière dans leur documentaire Dogs of Chernobyl. En 2019, le duo est parti dans la zone d'exclusion de Tchernobyl à la rencontre des descendants de ces chiens et surtout de l'association qui prend aujourd'hui soin d'eux, la Clean Futures Fund.
Une série (j'ai adoré !!!), un déclic
Comme les réalisateurs le dévoilent dans leur film, c'est la série Chernobyl qui a fait figure de déclic. "Je suis née en 1987, Hugo en 1988, donc on a grandi avec la catastrophe dans nos livres d'histoire", explique Léa Camilleri. "C'est un sujet sur lequel on se posait déjà beaucoup de questions mais la série nous a vraiment permis de le creuser, d'apprendre plein de choses qu'on ne savait pas".
Diffusée en 2019, la mini-série retrace l'histoire de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, du déclenchement de l'accident aux mesures mises en place face à ses conséquences. Et une scène s'attarde justement sur le destin de ces chiens abandonnés par les habitants. Après l'évacuation, des militaires ont été envoyés pour abattre les animaux. Mais nombre d'entre eux ont survécu.
Que sont-ils devenus ? C'est en tentant d'élucider cette question que les réalisateurs ont découvert l'existence de l'association Clean Futures Fund et fait la connaissance de son co-fondateur, Lucas Hixson. Depuis 2016, ce scientifique américain et son équipe oeuvrent en Ukraine pour venir en aide aux victimes de la catastrophe nucléaire. Y compris les animaux.
"Aujourd'hui, on est entre la 10e et la 12e génération de chiens", précise la co-réalisatrice. Mais leur vie est particulièrement rude. En plus du manque de nourriture, des conditions climatiques, les animaux doivent faire face à la prédation par les loups, aux maladies, à l'absence de soins. "Leur espérance de vie là-bas est très courte, elle est de quatre ans à peine", déplore-t-elle.
Chaque jour, l'équipe de Clean Futures Fund (CFF) se rend ainsi sur place pour leur donner à manger et leur apporter des soins. De vastes campagnes de vaccination et de stérilisation ont également été menées pour réduire la population et mieux s'en occuper. En 2006, celle-ci était évaluée à plus d'un millier de chiens. Depuis, elle est redescendue à 500-600 individus.
"On a passé un jour dans la zone d'exclusion à suivre Lucas et son équipe", raconte Léa Camilleri. "Ça nous a beaucoup touchés de voir comment ils s'en occupent. Les chiens connaissent très bien Lucas et il connait très bien les chiens donc c'est vraiment un travail de longue haleine". Depuis peu, la Clean Futures Fund ne se contente plus de les accompagner, elle a réussi à offrir à certains une nouvelle vie.
Non, les chiens ne brillent pas dans le noir
"Il y a beaucoup de fantasmes qui circulent sur les chiens de Tchernobyl", explique Lucas Hixson dans le documentaire. "On dit notamment qu'ils brillent dans le noir. Je peux vous dire que ce n'est pas le cas". Non, ces chiens ne brillent pas dans le noir. Et contrairement aux croyances, ils ne sont pas non plus radioactifs. Du moins pas en profondeur.
En menant des tests, le scientifique américain et son équipe ont montré que si les canidés affolent les aiguilles des détecteurs, c'est en raison de leur tendance à vivre et se rouler par terre. Une habitude qui a pour effet de contaminer leur fourrure. Un bon bain, voire une petite tonte, suffit ainsi à faire tomber la radioactivité à un niveau normal.
Cette conclusion a permis à CFF de mettre en place un programme d'adoption des chiots. En deux ans, une cinquantaine d'entre eux ont pu sortir de la zone d'exclusion de Tchernobyl et être adoptés par des familles aux Etats-Unis. La majorité des chiens sont toutefois trop habitués à leurs conditions de vie pour connaitre un sort similaire. Le travail sur place demeure donc essentiel.
La co-réalisatrice Léa Camilleri et l'un des chiots. En deux ans, l'association a permis de faire sortir une cinquantaine de chiots de la zone pour les faire adopter aux Etats-Unis. Dogs of Chernobyl