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Date : 23-01-2025 13:39:07
Des cris d’orfraie. Voilà ce qui retentit dans la sphère politique à la moindre évocation d’une possible mise à contribution des retraités pour financer la protection sociale. Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l’Emploi, vient d’en faire l’expérience. Sitôt émise l’idée de percevoir les séniors autrement que comme un bloc homogène, pour ne pas faire peser les efforts uniquement sur les actifs, la ministre a fait l’objet des tirs croisés de la droite à la gauche, en passant par l’extrême droite et l’exécutif.
Soit la plus éclatante démonstration de l’existence d’un tabou sur le sujet. Pourtant, de nombreux économistes jugent qu’il n’est pas (du tout) incongru de demander des efforts aux retraités dans le contexte actuel. Dans la mesure où de nombreux chiffres montrent que les retraités ne constituent pas le segment de la population le plus précaire. « Pour la première fois de l’histoire, en moyenne, les retraités ont un niveau de vie supérieur à ceux qui travaillent », soulignait sur franceinfo Antoine Foucher, spécialiste des questions sociales et ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud.
« Image d’Épinal »
En outre, ceux-ci sont sous-représentés parmi les Français recensés sous le seuil de pauvreté, et les retraites pèsent particulièrement lourd sur les dépenses de l’État : 14,4 % du PIB (contre 11,9 en Europe). D’autres indicateurs font peser la balance en faveur des retraités : taux réduit d’impôts sur le revenu, patrimoines plus importants que les actifs, exonération de l’impôt sur les plus-values immobilières, revalorisation du montant des pensions selon l’inflation…
Sur le réseau social X, Antoine Levy, économiste à l’université de Berkeley, a listé tous les avantages bénéficiant aux retraités au détriment des actifs. « L’image d’Épinal du retraité pauvre s’atténue. À raison : ils ne représentent plus que 6 ou 7 % du total. Deux fois moins que la moyenne française », souligne dans Le Figaro, Erwann Tison, chargé d’enseignement à l’université de Strasbourg. Le même observe « un tabou qui est en train de sauter sur la mise à contribution des retraités ».
Reste que celui-ci demeure particulièrement solide dans le monde politique. Et pour une raison simple : les retraités représentent un filon électoral particulièrement porteur. « Leur poids politique est de plus en plus important. On assiste en effet à un vieillissement de la population qui, mécaniquement, entraîne le vieillissement de l’électorat. Sur les 54 millions de Français en âge de voter, à peu près la moitié à plus de 50 ans. Et d’ici à dix ans, le nombre de personnes ayant entre 75 et 85 ans va passer de 4 à 6 millions. C’est en quelque sorte un électorat d’avenir ! », observait en octobre dans La Croix Luc Rouban, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).
Une catégorie sociale d’autant plus pertinente à choyer qu’elle s’abstient (beaucoup) moins que les autres. Aux dernières législatives par exemple, 75 % des retraités se sont rendus aux urnes, contre 60 % environ pour le reste de la population. On comprend mieux l’empressement du Rassemblement national (qui progresse au sein de cette classe d’âge qui lui a longtemps fait défaut) à monter au créneau contre toute possibilité de mettre à contribution les retraités les plus aisés.
Macron a payé cher sa décision sur la CSG
Quitte à user d’arguments éculés, et peu en phase avec la réalité économique. « Les retraités n’ont pas volé leur argent, ils ont travaillé et cotisé toute leur vie », s’emporte notamment le député RN Laurent Jacobelli. Or, en raison de l’évolution démographique, les retraités appartenant à la génération des babyboomers ont un taux de récupération de 200 %. Ce qui signifie qu’ils perçoivent deux fois plus que ce qu’ils ont réellement cotisé.
« À l’époque où les “boomers” étaient actifs, les cotisations étaient basses, car il y avait très peu de retraités. Jusqu’en 1982, la retraite était à 65 ans et les retraités ne vivaient pas longtemps. Il y avait cinq cotisants pour un retraité. C’était quasiment indolore pour les actifs. Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Il y a plus de retraités, qui partent plus tôt à la retraite et vivent plus longtemps », expliquait à franceinfo Maxime Sbaihi, économiste et auteur du livre Le Grand Vieillissement (éd. L’Observatoire 2022).
Malgré toutes ces données publiques, la classe politique (extrême droite, droite et gauche confondues) rechigne à toucher à ne serait-ce qu’un début de participation au système. Emmanuel Macron avait (un peu) brisé le tabou, en décidant d’augmenter le taux de CSG des retraités, touchant 60 % des séniors. Ce qu’il avait payé au prix d’une importante mobilisation des concernés et d’un divorce avec ce segment de la population. Malgré une révision du dispositif, le chef de l’État l’a payé cash. En 2017, Emmanuel Macron avait réalisé 80 % des voix chez les plus de 65 ans. Cinq ans plus tard, en 2022, ils n’étaient plus que 37,5 % de cette même tranche à avoir voté pour lui. Même s’il demeurait le candidat le mieux représenté au sein de cette classe d’âge, la chute est vertigineuse.
Le Huffpost.
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